Article de Frédéric Dubois, tiré de son blog :

 

 

POURQUOI JE COURS SANS CHAUSSURES ?


Pour deux raisons presque entremêlées dans le temps. D’abord mes études : dans les « 70’s », l’ostéopathie était encore une discipline peu répandue (« interdite » même aux kinés par les textes de loi de l’époque) et ma formation m’a conduit à réfléchir sur la biomécanique du corps, du sportif et du coureur en particulier. A l’époque, j’étais licencié en athlétisme à Paris (Paris Université Club, puis UCBB). Abebe Bikila aux JO de Rome 1960, Zola Budd multiple recordwoman, etc… Si l’on peut être champion, boucler un marathon ou battre des records sur piste, en courant pieds nus, pourquoi pas moi (pieds nus, pas les records !!!), j’ai décidé d’essayer… Et à ce moment, un accident de la route, un pied entre autre très abîmé (je cohabite toujours avec des broches et des vis…), un chirurgien pessimiste quant au sport, l’impossibilité de me chausser « normalement », un entraîneur qui me défie (« avec tes bons chronos, tu voulais déjà courir sans tes pompes, eh bien vas-y ! »…), la rage de reprendre la course (en particulier le fond et le « hors stade »), je me suis propulsé « barefoot runner », à une époque où on ne parlait pas de mode, de « tendance », ni de buzz, sans autre support de conversion que mes connaissances physiologiques, mes sensations (ça, j’en ai appris des choses sur le tas…), mon chrono personnel (on me laissait un peu me débrouiller avec mes « two bare feet »). Voilà, une histoire finalement ordinaire, un chemin…

 

Oui, mais voilà… Cela marchait ! Cela courait même, et pas trop mal… Je n’ai jamais fait d’exploit, mais j’ai amélioré mes temps sur piste, ça, c’était incontestable. Avec ma « drôle de foulée », un tiers plus courte mais bien plus rapide, je progressais. Sur route, je me débrouillais assez bien : en près de deux ans (eh oui, il en faut, de la patience et du temps, nous y reviendrons) mes « semelles étaient faites », je m’adaptais aux terrains, je disais toujours que je n’avais jamais couru sur les mêmes parcours d’entraînement extérieurs deux fois avec les mêmes sensations, toujours différentes car je « sentais » des nuances, insoupçonnables dans une chaussure, et je m’adaptais à chaque instant à ces nuances. Les yeux fermés, j’aurais pu donner le nom de la rue (du Braille podologique…) !

 

Aujourd’hui, des coureurs ne comprennent pas (ils ne peuvent souvent même pas l’imaginer) ce que nous ressentons au contact du sol : la sensorialité du pied est un sens identique aux autres, et si l’on a la satisfaction de pouvoir regarder son chrono, entendre les encouragements, boire agréablement, on peut éprouver la même satisfaction à percevoir sous sa peau les nuances du sol sur lequel on court. Cela fait partie du plaisir de courir, comme le reste, et on finit par en avoir besoin. C’est aussi simple que cela, et c’est finalement, uniquement pour cela que j’ai continué à courir, et que je cours aujourd’hui encore, pieds nus… Même mes VFFs me gênent, si je les chausse parce qu’il pleut.

 

C’est toujours ma réponse à ceux qui évoquent les modes, les tendances, les marchés de l’équipement, l’époque hippie de Woodstock, le désir de se démarquer, j’en passe… Je ne suis pas un intégriste du pieds nus/minimalisme, je respecte les choix de chacun, je comprends les hésitations, je ne critique pas les rejets « a priori » (même si les raisons sont très souvent liées à la pensée unique bien connue dans d’autres domaines) : le coureur à pied a encore la liberté de décider de ce qu’il fait de son corps ! J’essaie simplement d’expliquer, d’argumenter, sans marteler une vérité qui n’existe pas là plus qu’ailleurs, de conseiller les hésitants (car s’ils hésitent, c’est qu’ils ont une intention mais sont très mal informés…). J’accompagne toujours mes « patients » sportifs, notamment ceux qui ont été blessés ou des curieux interrogatifs lors de mes entraînements en ville, désireux « d’essayer avec quelqu’un » : tous n’ont pas au final franchi le pas de la transition, c’était leur choix, mais très honnêtement, ils ne sont pas majoritaires et de loin. Si j’ai pu leur rendre service, je les remercie simplement de leur confiance et, pour reprendre les paroles d’un coach sportif minimaliste, « voir le sourire spontané et quasi unanime s’afficher sur les visages après quelques centaines de mètres de foulées pieds nus », c’est tout ce j’en attends personnellement. Et s’ils ont pu, par eux même, continuer, alors j’ai réussi pour leur bien-être…

 

Et c’est souvent là qu’il faut tempérer les ardeurs car, si au fond, ça n’est « pas si difficile que ça », tout est à faire, c’est long et c’est là la phase transitionnelle qu’il ne faut surtout pas rater ! Mais c’est un point tellement important que cela sortirait de cette simple présentation.

 

POURQUOI JE CONSEILLE DE COURIR PIEDS NUS OU EN CHAUSSURES MINIMALISTES ?


Les travaux scientifiques sont nombreux, surtout depuis ces dix dernières années. Le Web regorge de publications et surtout de vidéos expérimentales ou de terrain, et j’encourage tous les coureurs intéressés à les consulter. Je ne veux ni promouvoir ni oublier personne, donc je citerais pèle-mêle les travaux les plus connus de médecins spécialistes : D. Liebermann (Harvard), et plus récemment J. Stoxen (« Team Doctors » médecine du sport – Chicago). Pour les réfractaires à la langue de Shakespeare (bien que les vidéos, même en anglais, soient suffisamment démonstratives), le site remarquable de mon homonyme et confrère québécois Blaise Dubois (mais sans aucun lien de parenté !), directeur de la « Clinique du Coureur ». Les travaux, enfin, axés sur le pied, et que je partage régulièrement sur ma page facebook, sont également la spécialité d’un médecin, N. Campitelli (Podiatric Medicine and Surgery – Ohio).

Je me garderais bien de commenter ces travaux : tout y est, la compétence de leurs auteurs est bien plus importante que la mienne puisque c’est leur principal sujet de travail. Le côté médical n’est qu’un support scientifique, certes incontestable au vu des images et des observations. Ma propre vocation médicale m’impose aussi l’honnêteté : celle de souligner qu’il ne s’agit pas là de preuves scientifiques validées, mais d’observations compilées, expliquées, démontrées, et confirmées par les constatations cliniques et de terrain. Elles restent donc parfaitement discutables, et les tenants de la « pensée unique » que j’évoquais tout à l’heure sont tout à fait en droit de pratiquer le négationnisme absolu !

 

Je préfère pour toutes ces raisons conseiller la lecture d’un certain nombre d’ouvrages (hélas en anglais…) : le plus connu « Barefoot Running Step by Step » du précurseur Ken Bob Saxton, « The Barefoot Running Book » de Jason Robillard, « Barefoot running » de Michaël Sandler. Les livres ne manquent pas, les approches sont toutes un peu différentes, mais leur gros intérêt est d’être le fruit de l’expérience sportive et la description des phases de progression est sensiblement la même… Je pense que c’est à consulter absolument avant toute pratique de transition. Les auteurs ont tous également leur propre site internet et page facebook, et on peut y trouver déjà des éléments très utiles.

Pour ne parler que de mon expérience personnelle et des raisons qui motivent ce choix de la course pieds nus/minimaliste, la démarche est extrêmement simple : laisser ou redonner au corps ses droits de fonctionner de la façon la plus naturelle qui soit et pour laquelle il a été conçu, et aussi la faculté de se protéger tout seul. Bien sur, j’entends déjà parler de retour à l’âge des cavernes, de la bougie, au mieux du moyen-âge,… Non, il s’agit simplement de reconnaître une erreur ou, tout au moins, une piste erronée. L’actualité médicale nous montre régulièrement -hélas- des exemples de recul pour cause de fausse piste ou surtout d’effets secondaires imprévus sur certaines thérapeutiques. On n’accuse pas pour autant les laboratoires d’empoisonneurs inconscients et patentés, ils sauvent aussi des vies au quotidien !

 

Le même parallèle est fait à présent par rapport aux chaussures à amorti, et un récent article publié par mon confrère Blaise Dubois compare d’ailleurs fort pertinemment ladite chaussure aux médicaments anti-cholestérol (je lui laisse la responsabilité de cette comparaison) : empêcher des pathologies vasculaires graves, c’est bien, mais mettre les consommateurs en fauteuil roulant, l’est nettement moins… alors, et si déjà on mangeait autrement ? Grand débat !… Et puisqu’il est avéré que les chaussures à amorti génèrent des pathologies en ayant voulu, en toute bonne foi, le bien du coureur (ce que je ne conteste absolument pas même si je n’ai jamais partagé ces arguments)… alors, si… on courait autrement ? Vous supportez le médicament anti-cholestérol, sans effets secondaires : prenez-le ! Vous supportez les chaussures à amorti et votre squelette va bien : gardez-les ! Happy ! Sinon, besoin ou curiosité, on continue à parler…

 

LES CONSÉQUENCES DE LA COURSE PIEDS NUS /MINIMALISTE : RISQUES, LIMITES, CONTRE-INDICATIONS


Les avantages sont là : équilibrer notre squelette, prévenir la survenue ou la récidive de certaines blessures, communiquer avec son corps et son environnement, trouver de nouvelles sensations positives, les buts sont donc là aussi, nous aurons l’occasion de les développer.

 

Être objectif, c’est évoquer aussi les problèmes et les risques générés par l’abandon des ses chaussures (complètement, ou par passage au minimalisme, nous verrons qu’il y a en fait peut de différences entre les deux modes).

 

Le risque de blessures, directe ou non : on ne peut pas le nier, surtout lors de la course pieds nus stricte. Nous verrons que les cas sont beaucoup moins fréquents et surtout beaucoup moins sérieux qu’on ne pourrait le craindre… En balance, il faut évoquer l’impossibilité presque absolue d’entorse de cheville (le pied ne peut pas en même temps écraser son arche interne et faire une bascule en sens contraire !) Pas d’ampoules par frottement non plus (qui n’a pas boité quelques jours à cause de cela…), ni tendinites directes, ni fasciites… Pas d’ongle noir, pas de mycoses ni de pied de sportif non plus. Il faut donc tout relativiser et ne pas mettre le risque de blessure en avant : pourquoi toujours chercher à faire peur ? La fameuse fracture de fatigue, enfin (stress fracture) : oui elle existe, mais elle ne se produirait quasiment pas si on ne faisait pas n’importe quoi…

 

Les limites existent aussi : déjà, quelque en soient les motifs, on essaie, si on n’aime pas, on n’aime pas, point ! Courir un marathon pieds nus, nous sommes un certain nombre à l’avoir fait (le premier à Paris en 98 en ce qui me concerne) : si l’on cherche une performance de temps, ce n’est certes pas la meilleur formule, mais on n’est jamais le dernier non plus et valoir (un peu !) moins de quatre heures, il y a de quoi être content et… susciter la curiosité à l’arrivée… Les distances inférieures ne posent aucun problème avec l’entraînement. Un certain nombre de coureurs actuellement s’alignent, évidemment en chaussures minimalistes, sur les trails notamment et les fabricants s’intéressent maintenant de près à ces nouveaux clients. En résumé, les limites sont celles que l’on se fixe, sans chaussures du tout, ou avec une autre formule, au feeling…

 

Les contre-indications : il n’en existe qu’une absolue, c’est le diabète. Autant cette maladie n’est plus aujourd’hui un motif d’exclusion du sport, au contraire, mais rajouter un risque, même minime, au niveau cicatrisation serait stupide. En dehors de cela, les idées reçues sont nombreuses : choc talonnier et mal de dos (non, la seule zone du pied qui ne frappe pas le sol, c’est justement le talon !), tendinites (faux, les tendons n’ont jamais été aussi peu contrariés), etc… Certains diront connaître des collègues ayant abandonné le pieds nus/minimalisme à cause de problèmes musculo-squelettiques. C’est vrai, mais l’explication est très simple : ils sont allés trop vite, trop tôt, ont été mal coachés, ont sur-utilisé leur mécanique corporelle : on ne va pas les accabler, mais vouloir passer de la conduite d’une berline de série au prototype automobile de course, juste en changeant de véhicule d’une heure à l’autre, qui l’imaginerait sans risque ?… Là aussi, côté progression, il y a certainement le plus à dire.

 

EN CONCLUSION… ET A SUIVRE


Le sujet est vaste, les auteurs de livres en ont écrit des centaines de pages. Mon objectif est de poser aussi clairement, objectivement et rationnellement que possible la question de la course pieds nus et/ou en chaussure minimaliste en essayant d’aborder chaque point qui mériterait des éclaircissements et répondrait aux attentes des lecteurs de Wanarun…

 

Je voudrais juste terminer en partageant une pensée pour Stéphane, qui connaissait si bien ce sujet : je ne regrette qu’une chose, c’est de n’avoir jamais eu l’occasion de le rencontrer, nous avions encore tellement de choses à nous dire, notamment sur la réflexologie du pied… Mais je suis sur que de l’autre côté du miroir, on doit forcément continuer à courir, avec… ou sans runnings !!